Alfred Jarry

Ubu Roi, ou, les Polonais

Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066088910

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UBU ROI
ou
les Polonais
par
ALFRED JARRY

UBU ROI

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ou

les Polonais

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par

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ALFRED JARRY

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Véritable portret de Monsieur Ubu.


Autre portret de Monsieur Ubu.



Drame en cinq Actes en prose

Restitué en son intégrité tel qu'il a été représenté par les marionnettes du Théâtre des Phynances en 1888.



Ce Livre est dédié à MARCEL SCHWOB



Adonc le Père Ubu
hoscha la poire,
dont fut depuis
nommé par les Anglois
Shakespeare,
et avez de lui sous
ce nom maintes
belles tragoedies par
escript.


PERSONNAGES

Père Ubu
Mère Ubu
Capitaine Bordure
Le Roi Venceslas
La Reine Rosemonde
Boleslas...)
Ladislas...) leurs fils
Bougrelas..)
Le général Lascy
Stanislas Leczinski
Jean Sobieski
Nicolas Rensky
L'Empereur Alexis
Giron...)
Pile....) Palotins
Cotice..)
Conjurés & Soldats
Peuple
Michel Fédérovitch
Nobles
Magistrats
Conseillers
Financiers
Larbins de Phynances
Paysans
Toute l'Armée russe
Toute l'Armée polonaise
Les Gardes de la Mère Ubu
Un Capitaine
L'Ours
Le Cheval à Phynances
La Machine à décerveler
L'Equipage
Le Commandant




Acte Premier

Scène Première


PÈRE UBU, MÈRE UBU


Père Ubu:

—Merdre.

Mère Ubu:

—Oh! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.

Père Ubu:

—Que ne vous assom'je, Mère Ubu!

Mère Ubu:

—Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner.

Père Ubu:

—De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

Mère Ubu:

—Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort?

Père Ubu:

—De par ma chandelle verte, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins: capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux?

Mère Ubu:

—Comment! après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon?

Père Ubu:

—Ah! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.

Mère Ubu:

—Tu es si bête!

Père Ubu:

—De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant: et même en admettant qu'il meure, n'a-t-il pas des légions d'enfants?

Mère Ubu:

—Oui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place?

Père Ubu:

—Ah! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l'heure par la casserole.

Mère Ubu:

—Eh! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte?

Père Ubu:

—Eh vraiment! et puis après? N'ai-je pas un cul comme les autres?

Mère Ubu:

—A ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues.

Père Ubu:

—Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que ces gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée.

Mère Ubu:

—Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.

Père Ubu:

—Ah! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d'un bois, il passera un mauvais quart d'heure.

Mère Ubu:

—Ah! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

Père Ubu:

—Oh non! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne! plutôt mourir!

Mère Ubu (à part):

—Oh! merdre! (Haut) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

Père Ubu:

—Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j'aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.

Mère Ubu:

—Et la capeline? et le parapluie? et le grand caban?

Père Ubu:

—Eh bien, après, Mère Ubu? (Il s'en va en claquant la porte.)

Mère Ubu (seule):

—Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.


Scène II


(La scène représente une chambre de la maison du Père Ubu où une table splendide est dressée.)


PÈRE UBU, MÈRE UBU


Mère Ubu:

—Eh! nos invités sont bien en retard.

Père Ubu:

—Oui, de par ma chandelle verte. Je crève de faim, Mère Ubu, tu es bien laide aujourd'hui. Est-ce parce que nous avons du monde?

Mère Ubu (haussant les épaules):

—Merdre.

Père Ubu (saisissant un poulet rôti):

—Tiens, j'ai faim. Je vais mordre dans cet oiseau. C'est un poulet, je crois. Il n'est pas mauvais.

Mère Ubu:

—Que fais-tu, malheureux? Que mangeront nos invités?

Père Ubu:

—Ils en auront encore bien assez. Je ne toucherai plus à rien. Mère Ubu, va donc voir à la fenêtre si nos invités arrivent.

Mère Ubu (y allant):

—Je ne vois rien. (Pendant ce temps le Père Ubu dérobe une rouelle de veau.)

Mère Ubu:

—Ah! voilà le capitaine Bordure et ses partisans qui arrivent. Que manges-tu donc, Père Ubu?

Père Ubu:

—Rien, un peu de veau.

Mère Ubu:

—Ah! le veau! le veau! veau! Il a mangé le veau! Au secours!

Père Ubu:

—De par ma chandelle verte, je te vais arracher les yeux.

(La porte s'ouvre.)


Scène III


PÈRE UBU, MÈRE UBU, CAPITAINE BORDURE et ses partisans.


Mère Ubu:

—Bonjour, messieurs, nous vous attendons avec impatience. Asseyez-vous.

Capitaine Bordure:

—Bonjour, madame. Mais où est donc le Père Ubu?

Père Ubu:

—Me voilà! me voilà! Sapristi, de par ma chandelle verte, je suis pourtant assez gros.

Capitaine Bordure:

—Bonjour, Père Ubu. Asseyez-vous, mes hommes. (Ils s'asseyent tous.)

Père Ubu:

—Ouf, un peu plus, j'enfonçais ma chaise.

Capitaine Bordure:

—Eh! Mère Ubu! que nous donnez-vous de bon aujourd'hui?

Mère Ubu:

—Voici le menu.

Père Ubu:

—Oh! ceci m'intéresse.

Mère Ubu:

—Soupe polonaise, côtes de rastron, veau, poulet, pâté de chien, croupions de dinde, charlotte russe...

Père Ubu:

—Eh! en voilà assez, je suppose. Y en a-t-il encore?

Mère Ubu (continuant):

—Bombe, salade, fruits, dessert, bouilli, topinambours, chouxfleurs à la merdre.

Père Ubu:

—Eh! me crois-tu empereur d'Orient pour faire de telles dépenses?

Mère Ubu:

—Ne l'écoutez pas, il est imbécile.

Père Ubu:

—Ah! je vais aiguiser mes dents contre vos mollets.

Mère Ubu:

—Dîne plutôt, Père Ubu. Voilà de la polonaise.

Père Ubu:

—Bougre, que c'est mauvais.

Capitaine Bordure:

—Ce n'est pas bon, en effet.

Mère Ubu:

—Tas d'Arabes, que vous faut-il?

Père Ubu (se frappant le front):

—Oh! j'ai une idée. Je vais revenir tout à l'heure. (Il s'enva.)

Mère Ubu:

—Messieurs, nous allons goûter du veau.

Capitaine Bordure:

—Il est très bon, j'ai fini.

Mère Ubu:

—Aux croupions, maintenant.

Capitaine Bordure:

—Exquis, exquis! Vive la mère Ubu.

Tous:

—Vive la Mère Ubu.

Père Ubu (rentrant):

—Et vous allez bientôt crier vive le Père Ubu. (Il tient un balai innommable à la main et le lance sur le festin.)

Mère Ubu:

—Misérable, que fais-tu?

Père Ubu:

—Goûtez un peu. (Plusieurs goûtent et tombent empoisonnés.)

Père Ubu:

—Mère Ubu, passe-moi les côtelettes de rastron, que je serve.

Mère Ubu:

—Les voici.

Père Ubu:

—A la porte tout le monde! Capitaine Bordure, j'ai à vous parler.

Les Autres:

—Eh! nous n'avons pas dîné.

Père Ubu:

—Comment, vous n'avez pas dîné! A la porte tout le monde! Restez, Bordure. (Personne ne bouge.)

Père Ubu:

Il commence à en jeter